Préambule de Lucien Courtois, auteur de l’article.

Bien entendu, le titre de cet article n’est qu’une boutade. Nantouillet n’a jamais été la capitale de la France. Je voulais simplement montrer que la plus humble de nos bourgades pouvait avoir eu un passé important avant de s’endormir. Il faut savoir que là où étaient roi et son chancelier, là était le gouvernement. Et au XVIe siècle la monarchie française est encore itinérante. La cour se déplaçait de château en château selon l’humeur du monarque. Elle ne deviendra définitivement fixe, et le gouvernement avec elle, qu’à partir du roi Henri IV (1589-1610).

QUAND NANTOUILLET ÉTAIT … LA CAPITALE DE LA FRANCE

Imaginez le village de Nantouillet à la fin de l’hiver 1531 -1532. Une agitation insolite emplit les rues. Le roi François premier y est l’hôte de son chancelier le cardinal Antoine Duprat.

Ce n’est pas la première fois. Mais aujourd’hui, l’occasion est d’importance : la signature d’une « Ordonnance sur le fait des monnaies ». Le château, bien petit au demeurant, qui n’a guère que dix ans d’âge, ne peut recevoir toute la cour, même réduite. Il doit y avoir un singulier remue-ménage dans les dépendances du château, les maisons et dans les demeures un peu riches des environs. Il faut le rappeler, chacun de nos villages dépendait d’un seigneur et dans notre région, ces nobles n’étaient pas de minces personnages. Bien des membres de la suite royale devaient avoir pris leurs quartiers dans les « hostels seigneuriaux » ou dans les maisons religieuses à environ une heure ou deux de cheval.

Nous n’avons, hormis pour le château (encore coiffé d’un toit de tuiles en 1532), aucune idée de l’aspect du village. Même l’église que nous connaissons actuellement, contrairement à la situation générale qui veut que, habituellement, ce soit le plus ancien monument de nos bourgades, n’existe pas encore: Elle ne sera construite qu’après 1560 et consacrée seulement en 1570. Il y en avait une autre, probablement au même endroit (dans les années 70, les travaux d’assainissement ont permis de mettre au jour des restes humains dans la rue de la Fontaine, le long de l’église actuelle; sûrement de vieilles tombes attestation de la présence du cimetière). Les rues ont-elles le même tracé qu’aujourd’hui ? Peut-être, mais ce n’est pas certain. Je pencherais plutôt pour la négative et je crois que pour gagner Juilly on prenait le chemin qui part de la place du château et aboutit aujourd’hui à la station d’épuration. Aucune idée non plus des maisons. Construites déjà en plâtre, mais aussi en bois, couvertes en chaume, pour certaines en tuiles (les plus cossues), au sol de terre battue, elles ne présentent guère de commodités. Mais telles qu’elles sont, elles doivent abriter dames et gentilshommes dont nous connaissons les atours. Pour bien habillés qu’ils fussent, ils devaient se contenter d’un confort sommaire, même dans les demeures des « importants » locaux. Car partout on trouve des « officiers » seigneuriaux comme le juge ou le procureur fiscal.

Nous savons cependant que, en date du 28 septembre 1521 (audience du Châtelet), Duprat a obtenu le droit de tenir à Nantouillet deux foires annuelles (à la saint Denis et à la saint Sébastien) et, de même, un marché hebdomadaire le mercredi. Pendant combien de temps foires et marchés ont-ils existé ? Nous ne le savons pas. Le village pouvait donc être plus développé qu’aujourd’hui.

La vie de cour, même à la campagne, a ses rites: les hommes, le roi en tête, quelques femmes parfois, chassent pratiquement tous les jours, les repas sont des moments importants et codifiés, la promenade dans les parcs et jardins occupe une bonne  partie du temps, surtout en fin de journée.

Outre le jardin suspendu, à l’est du château, ce qui est aujourd’hui une sorte de pré entouré de murs faisait figure de parc planté d’arbres où on se retrouvait dans la journée et surtout le soir pour « fleureter ».

Si j’ai parlé de Nantouillet comme d’une capitale, c’est que là où est le roi, là est le gouvernement. Ce gouvernement pouvait se résumer, à l’extrême rigueur, à deux personnes : le souverain et le chancelier. L’un ne va pas sans l’autre. Si l’autorité appartient au souverain, et en principe à lui seul (à la fin de l’ordonnance François Premier a fait écrire : « car tel est notre-plaisir » et il est le premier à employer cette formule), aucune décision ne sera appliquée sans être passée entre les mains du chancelier et de ses collaborateurs : un groupe d’audienciers, de secrétaires, de copistes, de chauffedriers, d’expéditeurs. D’ailleurs l’apposition du scel (le sceau) ne va pas sans une sorte de rite, de formes solennelles qu’on respecte à la lettre. Le sceau est aussi important que la signature du souverain, toujours accompagnée de celle d’un secrétaire qui signe « par le Roy », il s’agit du « Grand Sceau », celui que le chancelier est le seul à pouvoir apposer. A la fin du siècle, un des secrétaires sera un personnage considérable: Pierre Forget de Fresnes. Il faut dire que, depuis Henri II, ce ne sont plus de simples secrétaires mais des Secrétaires d’état avec statut de ministre. L’acte original, aujourd’hui, disparu, comme beaucoup, hélas ! avait été écrit sur du parchemin. L’usage de cette matière pour les originaux destinés à durer se maintiendra jusqu’à la Révolution. Elle était considérée, à juste titre, comme moins fragile que le papier. Mais l’encre qui la couvre, lorsqu’elle subit l’effet de la lumière, a tendance à pâlir. On ne peut faire des photocopies de ces parchemins. Il faut alors se rabattre sur la photographie.

Disons simplement que le panorama monétaire de l’Europe est d’une extraordinaire complexité. En principe, en France, seules les monnaies royales sont autorisées dans les transactions. Mais bien des espèces étrangères sont malgré tout en usage, surtout dans les provinces frontières ; elles sont tolérées et l’ordonnance que François Premier signe à Nantouillet en fixe le cours. Ce n’est pas une mince affaire, tant les types de pièces sont différents, même si elles portent souvent le même nom (ducats, florins ou écus, par exemple).

L’ordonnance veut aussi mettre fin à tout un trafic dont profitent maints faux-monnayeurs, parfois de haute volée. D:autre part, Duprat, de façon permanente, se montra protectionniste absolu, il pensait que la puissance d’un état se mesurait au volume de ce qui se trouvait dans ses coffres. Il admettait que les artisans français vendent à l’étranger mais s’opposait à toute forme d’importation. Il n’a jamais pu, bien entendu, se faire obéir.

Son goût de la thésaurisation lui vient sans doute de ses origines : il est issu d’une famille de marchands de vins et d’étoffes, d’abord à Saint-Flour puis à Issoire. Gens de commerce qui, dès qu’ils l’ont pu, ont glissé vers les charges bourgeoises et plus tard conférant la noblesse.

Et puis, il sert un monarque dépensier : rappelons simplement les sommes engagées en 1519 quand il tenta de se faire élire Empereur d’Allemagne, les constructions somptuaires (Chambord) et les guerres continuelles contre la Maison d’Autriche.

Si l’ordonnance est signée à Nantouillet, elle n’y a pas été rédigée, c’était un travail trop important, trop long et demandant la compétence de nombreux spécialistes. Mais je pense qu’il faut y voir une marque d’estime du roi envers le chancelier. Celui-ci, il faut le dire l’avait bien servi.

Vous comprenez pourquoi Nantouillet fut, de façon éphémère, capitale de la France ?

A Nantouillet, un prévôt est un officier seigneurial chargé de faire payer les contribuables négligents et, parfois, de bien d’autres obligations.

Albert Buisson – le Chancelier Antoine Duprat – éditions Hachette – 1935

rédacteur : Lucien COURTOIS