maison passeur.Annet-sur-Marne, comme son nom l’a toujours indiqué est bâti au bord de la Marne que de tout temps il a fallu traverser. Un gué a existé, depuis 1884 un pont enjambe la rivière, mais pendant des siècles c’est un bac qui a permis ce franchissement. S’il est peu question du gué, le « bac d’Annet », lui, figure sur toutes les cartes anciennes, c’est même assez souvent le seul détail noté concernant Annet. Il faut dire qu’il avait une certaine importance ; entre les ponts de Lagny et de Meaux, il n’existait pour franchir la Marne qu’un « passe-cheval » à Dampmart et, pour les attelages, les bacs de Précy, d’Isle-les-Villenoy et d’Annet. Ce dernier, selon une remarque du conseil municipal de 1810, ayant la préférence des rouliers : « lorsqu’ils sont passés à Annet, ils ont tous pavés pour aller à Paris et partout où ils ont besoin de conduire leurs marchandises ».

Depuis quand est-il installé ? On est tenté de dire, depuis toujours… Le terrier de le plus ancien que nous avons pu consulter aux Archives Nationales fait déjà mention, en 1519, d’un bac parmi les possessions seigneuriales : « item leur appertient es lieulx terres et seigneurie tout droit …. espaves, aulbaines, confiscations port bac et passages« . En effet, sous l’Ancien Régime les rivières dépendent des seigneurs locaux, de plein droit lorsqu’elles ne sont pas navigables, soit par concession du roi lorsqu’elles le sont. L’exploitation des installations est affermée. Ainsi, le 21 septembre 1681, « Nicolas Denis l’esné, battelier » signe (c’est façon de parler car il a « déclaré ne scavoir escrire ne signer« ) un bail de six ans pour « le bacq passage et repassage ensemble et descharge du port dudit Annet » pour « trante six livres tournois pour par chacune desdites six annéez« .

Après la Révolution, une loi du 6 frimaire an VII (26 novembre 1798), sous le Directoire), fait entrer les bacs dans le domaine public et établit les règles qui régissent leur administration et leur police. Ils sont toujours affermés à des particuliers par des baux de 9, 12, 15 ou 18 ans qui sont dorénavant adjugés aux enchères publiques par le préfet.

Le matériel et l’installation

En début et en fin de bail des estimations de la valeur du matériel confié à l’adjudicataire sont établies. Ces inventaires nous donnent des indications sur le matériel utilisé. Celui qui a été établi le 16 janvier 1843, à l’issue du second bail de neuf ans de Stanislas Messager (il avait pris la succession de Dieuleveux en 1825), est particulièrement détaillé. Il est extrait d’un dossier de réclamation de Messager auquel l’administration demande le versement d’une somme de 2116,26 F pour moins-value en fin de bail…

Le représentant de l’ingénieur de l’arrondissement de Meaux procède à l’inventaire et reconnaît que « le service de ce passage était fait par un bac de onze mètres quatre vingt seize centimètres de longueur mesurée entre les bascules et six mètres de largeur hors oeuvre
« Ledit bac garni d’une paire de ferrets, d’une perche ferrée, de deux écopes, d’un croc, d’une potence avec son rouleau, de deux leviers, d’une chaîne avec son cadenas pour fermer le bac pendant la nuit et de deux fourchettes garnies chacune de 3 galets en fonte maintenus par de petits essieux à écrous, recouverts par une b..sault (?) ou moraillon fermant avec clavettes.
La corde d’été qui peut encore faire deux campagnes, … celle d’hiver presque neuve.
Le treuil et son pieu d’amarrage situé sur la rive gauche … Une nacelle.
Sur la rive droite, … la cale d’abordage présente une surface de 288 m² dont 198 m² en chaussée de blocage …  Sur la rive gauche … la cale d’abordage présente une surface de 478,70 m² dont en chaussée de blocage 269,28 m² ».

Cette description donne les éléments essentiels de l’installation. Au point d’arrivée sur chaque berge est aménagée une partie en pente, « la cale d’abordage », pour permettre au bac de s’échouer et, après abaissement de l’une des deux « bascules », aux attelages d’y entrer ou d’en sortir. Le sol de terre molle et glissante, surtout quand elle est humide, est recouvert par un blocage de cailloux ou de pavés.
Un gros cordage, mesurant, selon le procès-verbal de mise en jouissance de Pierre Simon Dieuleveux de 1805, « de 0,10 m à 0,13 m de tour » (ce qui correspond à un diamètre compris entre 3 et 4 cm) est tendu au travers de la rivière, « retenu à chaque rive par un pieu solidement scellé en terre« . Pourquoi y  a-t-il une corde pour l’hiver et une autre pour l’été ? Est-ce un problème de longueur suivant les hautes ou basses eaux ? Les autres inventaires  n’en signalent qu’une seule mesurant 75 ou 80 toises (145 – 155 m).
La corde passe dans les « deux fourchettes garnies chacune de trois galets » fixées sur un même bordage, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière et, au milieu de la longueur du bac, s’appuie sur un « rouleau » porté par une « potence ».

Le passeur a la possibilité de faire prendre à son bac une position inclinée sur l’axe du passage, de cette manière le courant pousse le bateau vers la rive opposée. Il se tient en général  en tête de l’embarcation et aide au besoin à la manoeuvre en tirant sur le câble, ou en agissant sur la rive ou sur le fond au moyen de sa « perche ferrée ».

En 1843, il existe « un treuil et son pieu d’amarrage situé sur la rive gauche » qui permet de tracter le bac si besoin est, probablement l’hiver lorsque la Marne est haute.

L’embarcation  proprement dite

Le bac a beau être régulièrement entretenu par le fermier, périodiquement il faut le remplacer. Environ tous les vingt-cinq ans. En 1804, le bac est « en assez mauvais état« , en 1810 est envisagé un nouveau « bac neuf dont le devis estimatif est porté à 4370 francs », il est construit en 1811. En 1836, « celui de 1811 est dans un état tel qu’on a dû en interdire l’usage« . En 1860 encore …

L’adjudication pour la construction du bac du 13 mai 1811 est faite au bénéfice de Eugène Deschamps, constructeur à Saint-Dizier ; il semble d’ailleurs avoir été le seul soumissionnaire. Ce brave homme a eu l’excellente idée de joindre à son dossier un plan de son projet qui a été conservé aux Archives Départementales, ce qui nous permet aujourd’hui de pouvoir connaître l’aspect du bac en service à Annet de 1811 à 1836

pourbacAnnet

 

C’est une embarcation très plate. Elle ne pourra être chargée « qu’autant qu’il faudra pour qu’il reste soixante deux centimètres de hauteur du bord au-dessus de l’eau« , selon le cahier des charges de 1813 ; celui de 1824 n’autorisant seulement que quarante centimètres pour le même bac. Le premier cahier lui permet le transport « de sept à soixante individus » alors que le second fixe le maximum à quarante. Comparés à ces nombres les maximum autorisés pour les animaux semblent bas : « de un à trois chevaux, mulets, boeufs » en 1824 (en 1813, on pouvait aller jusqu’à cinq), peut-être craint-on chez les animaux des mouvements de panique pouvant être la cause d’accidents.

Les tarifs

Après la Révolution, ils sont fixés par l’Etat. A titre d’exemple, celui en vigueur à Annet en 1843 prévoit (extraits) :
– pour une personne non chargée ou chargée d’un poids au-dessous de cinq myriagrammes: 4 centimes
– pour denrées ou marchandises non chargées sur une voiture, sur un cheval ou mulet, mais embarquées à bras d’homme et d’un poids de cinq myriagrammes : 4 centimes, pour chaque myriagramme excédant : 1 centime
– pour le passage d’un cheval ou mulet et son cavalier, valise  comprise : 10 centimes
d’un cheval ou mulet non chargé : 6 centimes
d’un âne chargée ou d’un ânesse chargée : 6 centimes
d’un âne non chargé ou d’une ânesse non chargée : 5 centimes
– pour cheval mulet, bœuf, vache ou âne employé au labour ou allant au pâturage : 5 centimes
– par boeuf ou vache appartenant à des marchands et destinés à la vente : 8 centimes
– par veau ou porc : 3 centimes
– pour un mouton,brebis, bouc, chèvre, cochon de lait, et par chaque paire d’oies ou dindons : 1 centime
– les conducteurs de chevaux, mulets, ânes, etc., paieront trois centimes
– d’une voiture suspendue à deux roues, celui du cheval ou mulet :20 centimes
– d’une voiture suspendue à quatre roues attelée de deux chevaux ou mulets, y compris le conducteur : 40  centimes. Les voyageurs paieront séparément par tête le droit dû pour une personne à pied
– pour le passage d’une charrette attelée
d’un seul cheval ou mulet, y compris le conducteur, 20 centimes
de deux chevaux ou mulets, y compris le conducteur, 30 centimes
de trois chevaux ou mulets et le conducteur : 45 centimes
d’une charrette vide, le cheval et le conducteur : 12 centimes
– pour une charrette employée au transport des engrais ou à la rentrée des récoltes, le cheval et le conducteur : 12 centimes
– pour un chariot de roulage à quatre roues chargé, trois chevaux et le conducteur : 65 centimes

Il ne reste plus de souvenir du temps du bac, si ce n’est une petite construction carrée à un étage, récemment restaurée, dite « maison du passeur ». Nous ne pensons pas qu’elle ait servi d’habitation permanente, plutôt de remise de matériel et d’abri pour le passeur en attente…

rédacteur : Jean CRAPART