Une longue allée bordée de grands tilleuls conduit le visiteur jusqu’à l’église abbatiale. À mi-distance un porche du XVIIIème siècle marque l’entrée du domaine. Une salle, sorte de narthex précède la porte de l’église. Elle est rectangulaire et date du début de la construction. On y accède par une ouverture en plein cintre, flanquée de quatre arcatures à colonnettes. Elle est pourvue de bancs de pierre sur trois de ses côtés. Un guide, de haut niveau, parfait connaisseur de son abbaye nous y attend.
Il nous rappelle, tout d’abord, ce que fut l’ordre cistercien, créé au début du XIIème siècle par Robert, alors abbé de Molesme (au sud de Troyes). Robert, assoiffé d’idéal, fondateur né d’abbayes, quitte son couvent bénédictin pour édifier, en un autre lieu, avec quelques moines, un monastère où l’on appliquera la règle de St. Benoit, sans les adoucissements qui s’étaient établis au cours des siècles. Il s’arrête au sud de Dijon, en un lieu isolé avec des bois, des terres et de l’eau, dans une clairière que lui abandonne le comte de Beaune. Il devient alors le premier abbé fondateur de Cîteaux.
Ce nouvel ordre est immense. Bientôt la nouvelle règle cistercienne connait une célébrité, quasi fulgurante. Quatre nouvelles abbayes sont créées : La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond. Elles sont dites les quatre filles de Cîteaux. Elles-mêmes auront une nombreuse filiation en créant, chacune, de multiples abbayes tant d’hommes que de femmes. Il y en avait 572, au XIIIème siècle, en France et à l’étranger.
La raison première de la multiplication des monastères était le manque de terre pour nourrir les moines, devenus trop nombreux dans l’abbaye mère. On créait alors de nouveaux monastères, ayant de nouvelles terres, pour les accueillir. C’est ainsi que Pontigny est une abbaye essentiellement rurale. De ce fait, il fallait aussi recevoir de nombreux convers. Le convers est un frère laïque qui mène la vie conventuelle, ne chante pas au chœur et est chargé des tâches matérielles. Le moine cistercien vit dans la solitude et le dépouillement, certes il travaille aussi, mais son temps est principalement occupé par la prière qui est considérée comme une tâche essentielle. Il faut donc qu’il se décharge de beaucoup de travaux matériels nécessaires à la vie du couvent.
Poussé le portail d’entrée dans l’église, la vue de cette nef immense, longue d’une centaine de mètres, est saisissante. Si la clôture du chœur, ajoutée au XVIIème siècle, rompt la perspective, elle apporte une autre majesté faite de richesses sculpturales. Le portail d’entrée sur le chœur est très beau et se présente comme un véritable décor de théâtre. Impression renforcée par les sobres stalles, au milieu des sculptures exubérantes. On sent à quel point, à cette époque encore, était la richesse de l’abbaye. Cet ensemble en bois sombre, très orné, offre un contraste saisissant dans l’immense nef sobre et blanche. Si, au Moyen Âge, la sobriété prévalait, au XVIIème siècle, la richesse s’étalait.
En effet, la nef, d’une centaine de mètres de long, ne comporte, comme le veut l’ordre cistercien, à cette époque, aucun décor : pas de statue, pas de chapiteau décoré, des vitraux incolores apportant de la lumière. Pontigny, qui est la plus grande abbatiale cistercienne conservée, résume toute la pensée de cet Ordre : dépouillement, appel au silence et au recueillement.
Nous avons fait une visite détaillée de l’église au cours de laquelle notre guide nous a montré les nombreuses traces des anciens bâtiments monastiques qui entouraient l’église, début d’escaliers, passages pour aller aux chapelles. Les chapelles étaient très nombreuses dans les grandes abbayes. En effet, parmi les moines, beaucoup était prêtres, de ce fait, chacun d’eux avait obligation de dire une messe chaque jour, indépendamment d’assister aux offices religieux. Pour le permettre on multipliait les chapelles dans l’église, on y célébrait également les messes votives, sollicitées par de riches donateurs.
La vie monastique à l’époque des grandes abbayes était rude. Les premières prières chantées commencent dans la nuit, se poursuivent au lever du soleil, entrecoupées des messes privées et communes. Vers deux heures, heure solaire bien entendu, on prend au réfectoire l’unique repas de la journée. Suit un temps de lecture dans le cloître, puis les vêpres, et enfin complies, la dernière prière du jour, généralement de nuit. On se couche enfin au dortoir pour quelques heures. Entre temps, outre les moments de prières personnelles ou de lecture, le moine doit s’adonner à quelques travaux manuels. Bien entendu la journée se passe dans le silence le plus absolu, seul le lecteur au réfectoire peut parler en lisant les textes saints. Les moines, s’ils y sont invités, peuvent le faire au chapitre, tenu tous les matins l’abbé. Il y communique les tâches du jour, donne les ordres et fait les remontrances et inflige des peines pour les manquements, souvent mineurs, à la règle qui est très stricte.
En sortant de l’édifice, notre guide a attiré notre attention, côté nord, sur les faibles restes du cloître et de certains bâtiments conventuels, modifiés au XVIIème siècle.
Avant de quitter ces lieux envoutants, nous avons admiré le côté sud de la longue nef, posée au milieu de la plaine, telle une immense grange, rythmée par d’imposants contreforts. C’est vraiment une grange spirituelle où l’on y fait le travail de prière, tel que l’entendaient les moines cisterciens.
Après un excellent déjeuner (nous étions déjà en Bourgogne) dans la meilleure auberge du lieu, nous suivîmes une charmante personne, à la découverte de Saint Florentin et de son église. Initialement notre guide devait être l’ancien président du syndicat d’initiative, vieux florentinois, incollable sur sa ville. Malheureusement indisponible, sa remplaçante fit de son mieux pour y suppléer. Si elle connaissait son sujet, elle n’avait pas l’entregent d’un spécialiste chevronné.
Nous avons tout d’abord visité une partie de la ville qui possède quelques vieilles maisons à colombage pour ensuite nous rendre à l’église qui fut classée monument historique dès 1848. Son intérêt architectural vient de ce qu’elle marque la transition entre l’art gothique finissant et celui de la Renaissance. On y retrouve aussi des aménagements du XVIIème siècle. Malheureusement inachevée, si le chœur et le transept sont très importants, la nef extérieurement est de petite taille. Cette différence est moins marquée à l’intérieur.
Les entrées principales de cette église, se font par les portails de chacun des transepts. Ils datent du début du XVIIème siècle. Le portail nord est précédé d’un grand escalier au sommet duquel se trouvent deux lions, tenant l’un l’écu de France, l’autre les armes des La Vrillière. Le duc qui était comte de Saint Florentin fit construire cet escalier.
C’est de l’intérieur que cette église doit être vue. Le magnifique jubé de pierre s’impose, dès l’entrée. Il sert de passage au chœur qui est entouré d’une clôture de pierre du XVIème siècle à colonnettes cannelées. Le prêtre, autrefois, prêchait de cette tribune pouvant ainsi s’adresser aux fidèles situés de part et d’autre de cette clôture séparant le chœur de la nef. C’est un des rares jubés qui subsistent encore en France. Il se présente sous forme d’un arc de triomphe de trois arcades. Au centre une piéta, vierge de douleur tenant sur ses genoux le Christ, descendu de la croix. De chaque côté des colonnes auxquelles sont adossées des sculptures du XVIème et XVIIème siècle. Les statues (St. Eloi, St. Antoine, St. Honoré, St. Blaise et St. Lié) sont placées sous des arcs en feston, surmontés de clochetons, de style encore gothique flamboyant.
Les voûtes, datant de la Renaissance, sont très intéressantes et attribuées à l’architecte troyen Martin Chambiges à qui l’on doit, notamment, l’église St. Eustache de Paris. Mais c’est surtout la statuaire qui a le plus intéressé les visiteurs. Elle s’apparente à l’art champenois qui a connu son apogée à cette époque. Citons au hasard de nos rencontres : un bel Ecce homo (représentation du Christ, avant d’accomplir le chemin de croix et déjà couronné d’épines), un saint Jean-Baptiste et un saint Jean l’Evangéliste, un saint Jacques et un saint Roch. Le maître autel est assez chargé, flanqué de deux statues équestres, l’une représentant St Florentin en chevalier et l’autre St. Martin. Ce sont des répliques de celles qui au XVIème siècle ornaient, chacune, une porte de la ville. L’autel de la Vierge est surmonté d’un très beau retable Renaissance.
Neuf des nombreux vitraux qui éclairent la nef datent de la même époque. Leurs couleurs franches et profondes furent appréciées de tous et la lecture des scènes de certains nous fut détaillée.
Nous terminâmes la visite de la ville par une petite place sur laquelle se trouve une très pittoresque fontaine. A l’origine, elle était du même genre que celle actuelle et datait de 1507/1512. Détruite par les guerres de religion, elle fut reconstituée en 1984, à la suite de la découverte des dragons authentiques qui crachaient l’eau. Deux étaient déposés au musée de Cluny et, par un heureux hasard, le troisième fut retrouvé chez un brocanteur local.
Malheureusement, le temps nous a manqué pour flâner un peu dans cette petite ville qui présentait, pour beaucoup, le charme de la découverte.