Une semaine avant la libération de Saint-Mesmes, au mois d’août 1944.
Les fusillés
« Il y a eu onze fusillés à Saint-Mesmes : deux déserteurs de l’armée allemande (des Ukrainiens) exécutés sur la route de Charny ; le même jour, deux civils français (deux beaux-frères, l’un habitant du pays, l’autre, parisien réfugié à St Mesmes) venus en curieux sur la route… Et sept résistants, des F.F.I. d’un groupe de Livry-Gargan.
Les F.F.I. ont été ramassés par les Allemands qui les ont amenés dans la ferme Charpentier de Vineuil (hameau de St Mesmes) où ils leur ont fait plumer des poules, des canards, des oies…J’ai entendu dire que plusieurs d’entre eux auraient caché un petit mot dans les plumes des bestiaux.
Deux de ce groupe ont été tués sur la route de Vinantes, après que les soldats les aient obligés plusieurs fois à se déshabiller et se rhabiller. Les autres ont été emmenés dans un chemin qui part derrière Vineuil et monte vers Vinantes… Les Allemands leur ont fait creuser un trou et l’un des soldats qui semble-t-il, était ivre, les a abattus de plusieurs rafales de mitraillette. Un ancien maire de Saint-Mesmes qui habitait juste au bout de la rue a vu la scène et entendu les détonations. Les cadavres ont été abandonnés sur place.
A l’époque, je travaillais chez M. Taveau. Avec des camarades, à l’aide d’une carriole à cheval empruntée à la ferme, j’ai ramené les corps dans une grange qui touche l’église, nous les avons couverts d’une bâche. Ils sont restés là trois ou quatre jours.
Voyant les corps se décomposer- ils avaient des vers dans les yeux et la bouche – nous avons décidé de les enterrer. Un matin vers quatre heures, les Allemands avaient quitté le pays, nous avons creusé une fosse au cimetière. Nous avons transporté les corps, un par un, en utilisant un bout d’échelle, un porteur devant, un derrière, le mort dessus couvert une couverture ou d’un sac. Comme il faisait chaud, en plein mois d’août, l’odeur était insupportable, durant plus d’une semaine nous l’avons eue sur nous.
Pendant que nous étions occupés à déposer les corps dans la fosse, en les couvrant de la bâche, un groupe d’Allemands est arrivé. Nous avons eu très peur, ils sont entrés dans le cimetière baïonnette au canon, il n’y avait pas moyen de s’échapper. Les soldats ont regardé, qui on enterrait, les FFI portaient un uniforme militaire. Avec nous, il y avait un vieux Polonais qui parlait couramment l’allemand (il s’appelait Lagouéla, je me souviens de son nom), il leur a dit : « vous savez, ce sont des F.F.I»… Il a discuté longtemps avec eux, ils sont repartis. Nous avons eu de la chance qu’ils ne nous aient pas tués.
Les otages
Les Allemands battaient déjà en retraite, il n’y en avait plus à Saint-Mesmes quand se sont produits les évènements de Charny où des coups de feu ont été tirés sur des soldats allemands, tuant un officier. A la suite de cela, ils sont réapparus nombreux au village où ils ont pris des otages, sept, dont je faisais partie. On a raconté que les Allemands avaient l’intention de mettre le feu à Charny.
Quand un officier allemand est allé chez le maire pour lui dire que des otages seraient pris, Monsieur Taveau Eugène, le maire de l’époque, lui a répondu : « les premiers otages à prendre, c’est moi et ma soeur »…Ils sont partis dans le pays et dans les maisons où ils s’arrêtaient, ils prenaient un homme. Dans ma famille, avec moi, il y avait mon père qui avait alors soixante ans et mon frère qui avait sept ans de moins que moi. C’est moi qu’ils ont choisi.
Nous avons été enfermés dans une usine à lin qui se trouvait où est maintenant la zone industrielle. Comme j’étais le plus jeune du groupe, j’ai été relâché en dernier. En remontant le chemin, juste en face de l’église, je n’ai pas eu de chance, je suis tombé sur deux soldats allemands, des jeunes 16-17 ans, des branches de peuplier sur le casque. « Papir ! papir ! ». Je leur ai montré une petite carte, comme nous en avions à l’époque, indiquant la profession, le lieu de travail…Pour prendre la carte, j’avais sorti mon portefeuille, ils me l’ont arraché des mains et jeté par terre, en hurlant. Je l’ai ramassé en me disant : « ça y est, je vais y avoir droit ! » Mais non, ils m’ont laissé partir. Je suis rentré chez moi, et je ne suis plus sorti de la maison.
Ceci s’est passé, il y a cinquante ans, avant la Libération de Saint-Mesmes, fin août 1944…. »
Témoignage, écrit en 1994, de Monsieur TELLIER qui avait 22 ans, en 1944.