Tout a commencé, le 14 juillet 1789, par la prise de la Bastille, érigée en symbole de l’absolutisme. Un Annetois y était ! Henri Rémi Delâtre. Né le 13 octobre 1770, à Annet-sur-Marne, il n’avait pas encore dix-neuf ans. S’adressant, quelques années plus tard, au ministre de l’Intérieur de Louis Philippe, il raconte lui-même quelle fut sa participation :

Tableau de Jean-Pierre Louis Laurent Houël -1789-BNF Gallica,

« Henry Rémi Delâtre…à l’honneur d’exposer à votre excellence  qu’il a coopéré le 14 juillet 1789 à la prise de la Bastille, que faisant à cette époque partie du district de l’Oratoire rue St Honoré, sous la présidence de Monsieur Duport du tertre, employé de 1ère classe dans les bureaux de Monsieur Lenoir lieutenant de Police de Paris, qui a demandé des hommes de bonne volonté pour seconder les assiégeants de la Bastille ; qu’il s’y était rendu avec trois de ses camarades et amis, et bon nombre d’autres qu’il ne connaissait pas ; arrivés par la rue St Antoine, armé d’un fusil qu’il avait obtenu aux Invalides, au moment même où l’on s’était emparé de deux voitures de paille, qu’il s’est livré de toutes ses forces à introduire ces pailles pour y  mettre le feu dans les fossés, qu’ensuite il s’est précipité dans la mêlée, pour s’introduire dans la Bastille par la tour de la Bazinière au moment où l’on avait rompu et cassé la chaîne du pont-levis, par le secours d’un boulet de canon, qu’il y est entré dans la cour du centre toujours armé de son fusil où il a perdu de vue ses camarades, et dont l’un d’eux, d’après ce que lui a dit Lefèvre, avait été tué, chose vraisemblable puisqu’il ne l’a jamais revu depuis ce temps ; que lui, Delâtre, est monté dans un escalier à droite en entrant, où il reçut  un coup par un fort morceau de bois, duquel il fut renversé en arrière et grièvement blessé à l’estomac, du côté gauche, et de là, transporté dans une salle par bas, hors et vis-à-vis du pont-levis de la forteresse, et ensuite reconduit par deux personnes dans la rue des Tournelles et de là, par un fiacre jusque chez M. Simon son oncle rue St Honoré où il fut traité de suite par M. Balluet officier de santé. »

Plan de la Bastille

 

 

Plan de la Bastille en 1789. – A. tour du Coin ; B, tour de la Chapelle ; C, tour du Trésor ; D, tour de la Comté ; E, tour du Puits ; F, tour de la Liberté ; G, tour de la Bertaudière ; H, tour de la Bazinière ;  I, Salle du Conseil ; K, Archives ; L, Escalier des fossés extérieurs ; M, Bastion ; N, guérites; O, Porte de l’Arsenal ; P, Chapelle. (www.cosmovisions. Com)

 


Médaille originale d’Henri Rémi Delâtre

 

Durant cette attaque, il y eut 98 morts et 73 blessés. En juin 1790, la Ville de Paris, dans le but de les honorer, recense les participants. Une liste de 954 noms est établie, un diplôme de « vainqueur de la Bastille » créé, une médaille frappée et un uniforme remis à chacun d’eux avec une arme d’honneur, un sabre ou un fusil, sur laquelle était gravé « Donné par la Nation à …… vainqueur de la Bastille ».

Après la Révolution, l’Empire, il est encore possible d’exhiber son titre, par contre sous la Restauration, il vaut mieux se faire oublier…

C’est Louis Philippe, le roi-citoyen, qui s’intéresse de nouveau à eux en 1832, afin de leur procurer quelques avantages, en particulier de verser une pension à certains. Dans ce but un nouveau recensement est effectué, 630 survivants sont retrouvés.

Notre Annetois a failli être oublié.

D’abord, la liste établie par les Archives du royaume – la prise de la Bastille date de plus de quarante ans – mentionne bien un Delâtre parmi eux, mais sans indication de prénoms, ensuite il dépose son dossier trop tard. Informé, il monte à Paris rencontrer le général La Fayette qu’il a connu durant son engagement dans la Garde Nationale.

Le lundi 4 février 1833, il est reçu par le Général qui lui apprend le refus de son dossier. Il lui conseille d’adresser une lettre, une « pétition » comme on dit alors, au ministre de l’Intérieur en fournissant toutes les pièces demandées et en expliquant pourquoi il n’a pu le faire en temps utile.

Le retard, il le légitime par le fait qu’à Annet on n’est pas « à même de voir les journaux » et que c’est très tardivement « qu’il a appris les recherches que l’on avait fait des vainqueurs de la Bastille ».


Diplôme de Vainqueur de la Bastille délivré par l’Assemblée Nationale

Pour prouver qu’il est bien le Delâtre figurant dans la liste de 1790, il accompagne le récit de ses exploits cité plus haut, d’un extrait des Archives du Royaume, d’un acte de naissance et d’une attestation signée de « François Perrigot, propriétaire âgé de 80 ans, Thomas François Perrigot, vigneron, âgé de 83 ans, Jacques Baillet, vigneron, âgé de 72 ans, Louis Simon, rentier, âgé de 80 ans, Charles Eloi Jardin, rentier, âgé de 72 ans, Jean Louis Duval, carrier, âgé de 72 ans, Pierre Etienne Denomaison, serrurier, âgé de 61 ans et Provost Antoine, vigneron âgé de 64 ans, tous domiciliés à Annet et anciens du Pays » qui attestent qu’à l’époque de la prise de la Bastille Henri Rémi Delâtre habitait bien Paris et que le Delâtre en question ne peut être que lui.

 

En septembre 1791, après un an dans la garde nationale de Paris, il était revenu se fixer à Annet où il se marie en 1793 et devient, à partir de 1806, « débitant de tabac, buraliste des contributions indirectes ».

 Le fait d’avoir été « vainqueur de la Bastille » l’a certainement aidé pour obtenir cette fonction[1]. Ensuite, on le retrouve parmi les citoyens actifs, élu au conseil municipal, membre du bureau de bienfaisance et aussi marguillier de la fabrique de l’église Saint-Germain. Il semble mener une vie paisible…

[1] La charge de vente de tabacs était réservée aux vétérans ou blessés de guerre, aux veuves et orphelins de fonctionnaires ou militaires. En 1816, la France compte environ 16000 Débits de Tabac.

Texte de Norbert Tabesse (CLIO 2021)